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31 janvier 2010 7 31 /01 /janvier /2010 22:02

Le vaudeville à la russe : un vent de folie douce.
Pour trois jours encore, la Comédie propose trois courtes farces de Tchekhov en une soirée.
Le metteur en scène Patrick Pineau a choisi, pour s’attaquer au géant russe, de passer par la farce preste : du concentré. Un fond sobre laisse éclater l’énergie des acteurs, tout de noir vêtus, qui transmettent à un public enthousiaste la force d’une vision impitoyablement jubilatoire des faiblesses humaines. Tchekhov ne juge pas ses personnages. Il ne fait pas de morale. Il se contente de les observer, en bon praticien de l’âme, en scrupuleux médecin de campagne du 19ème siècle finissant.
 
La demande en mariage, d’abord, est un petit joyau de réjouissante absurdité. Un jeune propriétaire terrien s’en vient, tout endimanché, demander la main de la fille de son voisin. Déclaration d’amour ? Que nenni ! Le prétendant fait à sa belle la liste de ses biens, dans une énumération qui tient à la fois de l’arbre généalogique et des registres du cadastre. Hélas, il mentionne un champ, objet de litige entre les deux familles, et s’ensuit une escalade de récriminations où les mots doux cèdent la place aux noms d’oiseaux, dans une surenchère d’autant plus insensée que la propriété dudit bien importe peu, puisque le mariage prévu le fera tomber dans le même panier.

Tout Tchekhov est là : dans une outrance délicieuse où chacun fait assaut de la mauvaise foi la plus éhontée avec tellement d’entrain que c’en est attendrissant. Le regard ironique de l’auteur se délecte de la complaisance des hommes pour leurs lâchetés qu’ils déguisent en noblesse, de leur hypocrisie, non tant vis-à-vis des autres que vis-à-vis d’eux-mêmes. Les affectations d’abnégation poussées jusqu’à l’absurde par une veuve éplorée cèdent comme un rideau de papier devant la vérité qui surgit au beau milieu du dialogue de sourds le plus délirant.
« Le deuil ? Ah, on les connaît, ces trucs-là ! Vous vous êtes enterrée vivante, mais vous n’avez pas oublié de vous poudrer ! » Et pourtant, la grandiloquente tirade du misogyne invétéré a beau faire mouche de toute l’acuité de ses piques imparables : elle ne le garantit en rien contre sa propre naïveté.

Ainsi L’Ours démontre-t-il avec une verve étincelante combien les grands discours ne sont guère que des rôles que chacun aime à se donner, metteur en scène de sa propre vie. On n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Et l’on finit par ne plus savoir ce qui, des grands sentiments ou des questions d’argent, des dettes ou des honneurs de pacotille, est le plus sincère. En tout amoureux se cache un créancier, et vice versa. Chacun cherche son dû.
Le théâtre de Tchekhov, c’est une comédie humaine au vitriol qui n’épargne rien, mais pardonne tout.


Publié dans l'Union sous nom marital le 3 décembre 2008
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Anne Paulerville

  • : La danse du sens
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Il paraît que le sens peut danser sur les mots


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Ces textes furent rédigés pour une presse dite populaire : la prise en compte du lectorat limite donc l'usage des références culturelles et des figures stylistiques.



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