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27 février 2010 6 27 /02 /février /2010 23:56

Ce 5 avril, comme chaque premier dimanche du mois, les musiciens du Conservatoire viendront jouer de l’archet à côté des chevalets et du piano face aux tableaux, afin qu’œil et oreille vibrent de concert.
 
Ce dimanche, à la faveur de l’exposition qui lui est consacrée au Musée des Beaux-Arts en partenariat avec le Louvre, se déploiera le deuxième volet d’un diptyque sur Corot. Paysages musicaux pour un peintre qui, l’un des premiers, donna à voir la nature comme un théâtre de verdure, les arbres comme des rideaux de feuillages autour de scènes champêtres. Des couleurs flottantes qui caressent le regard comme le frémissement d’un souffle d’air dans les rameaux, qui invitent comme peu d’autres à entrer dans le tableau, comme Alice traversant le miroir. 
  Goethe disait que «  la sculpture, c’est de la musique pétrifiée. »  On pourrait dire des tableaux de Corot qu’ils sont au contraire « de la musique fluidifée. »
La musique, c’est le rythme ; c’est l’art des sons et l’art du temps, alors qu’un tableau demeure figé. Or il n’y a pas de vie sans rythme, sans pulsation. Ne dit-on pas pour saluer une belle langue qu’elle est musicale ? Que l’économie d’un tableau est rythmée par telle ou telle couleur, telle ou telle ligne de force ?
Regarder un tableau en musique, c’est comme lui restituer le mouvement qu’il a capturé, associer aux longueurs d’ondes des couleurs celles des sons.

Dans « Eupalinos ou l'architecte », petit traité d’esthétique s’amusant à mimer l’emphase rhétorique des dialogues socratiques, Paul Valéry allait jusqu’à affirmer que la musique, avec l’architecture, étaient les deux seuls arts que vous pouviez habiter, qui avaient le pouvoir de vous envelopper totalement, dans lesquels vous pouviez vous blottir dans toutes vos dimensions :
«  D'un côté, la musique et l'architecture ; de l'autre, les autres arts. Une peinture ne couvre qu'une surface. [...] La statuaire, mêmement, n'orne jamais qu'une portion de notre vue. Mais un temple [...] forme pour nous une sorte de grandeur complète dans laquelle nous vivons. Nous sommes, nous nous mouvons, nous vivons alors dans l'oeuvre de l'homme ! […] Nous y respirons en quelque manière la volonté et les préférences de quelqu'un. Nous sommes pris et maîtrisés dans les proportions qu'il a choisies. Nous ne pouvons lui échapper. […]
{Quand] l'orchestre emplit la salle de sons et de fantômes, ne te semble-t-il pas que l'espace primitif est substitué par un espace intelligible et changeant ; ou plutôt que le temps lui-même t'entoure de toutes parts ? Ne vis-tu pas dans un édifice mobile, et sans cesse renouvelé, et reconstruit en lui-même. Et ces danses sans danseuses […] ne te semblaient-ils pas t'environner, toi, esclave de la présence générale de la musique […] comme une pythie dans sa chambre de fumée ? »
Comme une invitation à entrer dans les paysages de Corot en franchissant le mur des sons.


   
Publié dans l'Union sous nom marital le 4 avril 2009
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Anne Paulerville

  • : La danse du sens
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Il paraît que le sens peut danser sur les mots


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Ces textes furent rédigés pour une presse dite populaire : la prise en compte du lectorat limite donc l'usage des références culturelles et des figures stylistiques.



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