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14 octobre 2016 5 14 /10 /octobre /2016 17:16

Si cela peut faire gagner du temps à quelques collègues, voici le petit vademecum transmis à mes chers élèves du club théâtre qui ont travaillé sans relâche l'an dernier pour présenter une version écourtée mais fidèle de Cyrano de Bergerac.

 

Le théâtre est à la fois un art de la vérité et de l'exagération. On doit y exprimer des sentiments humains avec justesse tout en les amplifiant. (Voir * au verso pour aller plus loin)

1°) Le texte

« Au commencement était le texte ». Pas de pièce sans son texte, qu'il faut servir et exprimer le mieux possible.

a) Respect du texte, donc, dans sa lettre et son esprit.

Bien articuler, ne pas écorcher les mots, ni avaler les syllabes, surtout quand il s'agit de vers : un vers boiteux (amputé d'un pied) vous fera trébucher et blessera l'oreille du spectateur éclairé.

 

b) Ne pas aller trop vite :

. Le jour du spectacle, on sera stressé, le cœur battra plus vite, on risque de parler avec encore plus de précipitation.

. Se laisser le temps de respirer entre les phrases, afin de ne pas être stoppé net à la première hésitation que le trac pourra infliger à une mémoire défaillante, et rendre ainsi plus claires pour le public les articulations et enchaînements du discours en les marquant par de brèves pauses. Ne pas craindre le silence : quelques secondes mettent en valeur le texte à l'oral comme une marge l'encadre à l'écrit.

. Laisser au spectateur le temps de comprendre et d'assimiler ce qui est dit.

Ne pas oublier qu'il découvre peut-être la pièce et qu'il ne la connaît pas par cœur, lui.

 

c) Tant que le texte n'est pas appris par cœur, il continue à passer par (la) tête, à monopoliser l'attention et l'énergie de l'acteur qui ne peut pas se consacrer au travail du jeu et de l'expression juste, qui ne peut pas « être » le personnage auquel il donne vie.

Il faut donc parfaitement maîtriser son texte pour être libéré du travail de la mémoire.

 

2°) Le ton

a) Le volume sonore : comme le nom l'indique, votre voix doit remplir le volume de la pièce et l'espace. Si l'on ne vous entend pas, vous aurez beau savoir votre texte parfaitement, jouer avec les nuances les plus subtiles, tout cela sera perdu pour le spectateur qui se demandera simplement ce que peut bien raconter cette personne qui gesticule sur la scène (et risque de vite s'ennuyer et se demander aussi ce qu'il est venu faire là.) Il ne faut pas crier (sauf si l'action l'exige) mais veiller à ce que « la colonne d'air » qui produit le son en faisant vibrer vos cordes vocales soit bien dégagée et amplifie le son avec le maximum d'intensité.

 

b) Quelles que soient les didascalies ou les exigences de la scène (« presque à voix basse », scène intimiste de confidences,...) ne pas oublier que l'on s'adresse toujours aussi au public au-delà du partenaire. Il faut donc toujours parler bien fort, quelle que soit la situation de la scène.

 

3°) Le geste

a) Les bras : ne pas les laisser ballants le long du corps, inexpressifs. Ils doivent toujours être occupés, en mouvement. Ils constituent une véritable ponctuation du texte, doivent le souligner de façon emphatique.

 

b) Le visage : on verra peu l'expression de votre visage au théâtre. On n'est pas au ciména, il n'y a pas de gros plan possible. Il faut tout amplifier : les sourires comme toutes les autres marques d'émotions (la colère, l'étonnement,...)

 

c) Le corps entier participe au jeu. Ce sont surtout les mouvements de la tête, du cou, de tout le corps qui doivent doubler les paroles, presque comme un film sous-titré ou traduit en langage des signes. Le public n'est pas malentendant, mais il faut quand même l'aider à mieux entendre, au sens de « comprendre » ce qui est dit, en mimant presque les répliques les plus imagées.

 

4°) Le placement

a) Ne jamais tourner le dos au public : la voix ne porte que dans la direction de la bouche de l'acteur qui agit comme un porte-voix, comme une caisse de résonance. Votre corps entier est un instrument de musique.

 

b) Vous devez diriger votre visage selon le bon angle, entre les trois pôles ci-dessous.

Il faut donc calculer son placement et l'orientation de son visage et de son corps en fonction :

- du public - de son partenaire - des micros éventuels.

 

c) Se méfier des déplacements sur la scène qui n'est pas extensible :

il faut ruser et donner l'illusion d'un mouvement sans pour autant trop changer de place et rester le plus possible au centre de la scène pour demeurer visible (et audible) du public.

 

5°) Le spectacle

« Show must go on » : quoi qu'il arrive, (sauf bien sûr en cas de danger), le spectacle continue.

Que quelqu'un arrive en retard, tousse, laisse tomber quelque chose, on ne détourne pas le regard, on continue ; que vous-même ou votre partenaire vous trompiez dans votre texte, on enchaîne, sans s'interrompre, sans faire de remarques ou de manières... Il y a des chances pour que le public ne se soit pas aperçu de ce qui n'était pas prévu.

 

* Pour ceux que cela intéresse d'approfondir la réflexion et d'aller plus loin.

1°) Le paradoxe de la vérité et de l'apparence est particulièrement marquant au théâtre, mais on peut aussi développer une comparaison avec l'architecture.

Par exemple, le Parthénon, à Athènes, forme un rectangle. Toutefois, comme il n'est pas destiné à être vu du ciel, mais du sol, la perspective déforme le rectangle et donne l'impression que c'est un trapèze.

Afin de corriger cette impression, les architectes ont modifié les proportions et ont construit un trapèze inversé qui donne l'illusion que c'est un rectangle parfait, même du sol.

Il faut donc que le dessin soit faux pour donner l'illusion du vrai.

De même au théâtre, il faut tout exagérer (la voix, les gestes, les expressions,...), forcer le trait pour corriger l'affaiblissement de la perception dû à l'éloignement du public par rapport aux personnages censés se parler l'un à l'autre. Il faut être audible à 50 mètres et non seulement à 50cm, même si l'on confie un secret à son meilleur ami ou qu'on est censé parler tout seul.

 

2°) Le philosophe des Lumières Denis Diderot (1713-1784) a exprimé, dans un dialogue intitulé « Le Paradoxe sur le Comédien », la subtilité de l'art du théâtre qui doit représenter fidèlement des sentiments humains tout en jouant des personnages fictifs, inventés.

 

3°) Boileau (1636-1711) écrivait dans « l'Art Poétique » une formule qui peut aussi s'appliquer au théâtre :

« Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement

Et les mots pour le dire arrivent aisément. »

 

4°) Autres lectures intéressantes

L'acteur et homme de théâtre Louis Jouvet (1887-1951) a aussi dit et écrit des choses intéressantes sur le sujet. Exemples de citations :

« Le personnage est d'abord un texte »

« Le théâtre est le domaine des apparences. »

« Le théâtre est une des ces ruches où l'on transforme le miel du visible pour en faire de l'invisible. »

« On fait du théâtre parce qu'on a l'impression de n'avoir jamais été soi-même et qu'enfin on va pouvoir l'être. »

 

 

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Anne Paulerville

  • : La danse du sens
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Il paraît que le sens peut danser sur les mots


Ceci est un book en ligne. Y sont archivés la plupart des deux cents articles publiés dans la presse depuis octobre 2008, toujours au minimum une semaine après leur publication, afin d'y être consultés si besoin est.
La lecture par catégories facilite l'approche.

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Ces textes furent rédigés pour une presse dite populaire : la prise en compte du lectorat limite donc l'usage des références culturelles et des figures stylistiques.



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